Le mythe dangereux de la « virginité »
Ah, perdre sa virginité ! Ce fameux cap dont on nous parle depuis notre puberté. Chez celleux qui ne l’ont pas encore franchi, certain·es le redoutent, d’autres trépignent d’impatience, d’autres encore considèrent que ce n’est pas une décision à prendre à la légère. Et puis de l’autre côté, il y a celleux qui en gardent un souvenir tendre, mais aussi celleux qui préfèreraient oublier, sans compter celleux qui s’en souviennent à peine.
Mais si tout le monde a un avis bien défini sur le sujet, pas sûr pour autant qu’on s’accorde sur une définition. Car après tout, qu’est-ce que cela signifie concrètement « perdre sa virginité » ? À partir de quand on n’est plus « vierge » ? Et à vrai dire, est-ce que cette expression a un sens ? La réponse est loin d’être aussi évidente qu’il n’y paraît.
L’hymen, ce faux indice
Les « technicien·nes » nous répondront que l’on n’est plus vierge si notre hymen est rompu. Voilà, c’était pas si compliqué, et c’est indéniablement objectif, non ? Cette réponse, en plus d’oublier la partie de l’humanité qui ne possède pas d’hymen), repose sur une vision erronée de ce qu’il est.
Contrairement à ce que certain·es pensent, il n’est pas une sorte de membrane épaisse qui « bouche » l’entrée du vagin et qui « se brise » lors de la première pénétration. En dehors de cas très rares dans lequel l’hymen bloque effectivement complètement l’entrée du vagin (auquel cas un·e médecin devra probablement intervenir), il s’agit d’une membrane très fine et souple qui ne recouvre que partiellement l’entrée du vagin.
Lors de la première pénétration vaginale, un manque de délicatesse ou de lubrification peut causer une déchirure, entraînant ainsi des douleurs et des pertes de sang, qui sont présentées à tort comme normales et acceptables. Dans tous les cas, avec le temps, l’hymen se « détend » et ne gêne plus du tout le passage, mais il reste présent toute la vie ; on ne le « perd » jamais.
Une vision du sexe hétérocentrée et phallocentrée
Plus communément, beaucoup de personnes pensent encore que le « vrai » sexe, le seul, l’unique, l’officiel, c’est la pénétration du pénis dans le vagin. Seule cette combinaison est prise en compte par ces gens pour déterminer la virginité de quelqu’un·e. La fellation ? Des « préliminaires ». Le cunilingus ? Idem. La pénétration digitale ? Pas mieux.
Si nous suivons le raisonnement de ces personnes, une femme cis qui est active sexuellement mais qui n’a jamais été pénétrée vaginalement par un pénis, parce qu’elle est lesbienne ou qu’elle pratique uniquement la sodomie par exemple, est vierge. Plutôt absurde, non ?
Cette idée que les rapports sexuels impliquent forcément un phallus est fausse. D’abord parce que tout le monde n’a pas de pénis et ne couche pas forcément avec des gens en possédant un ; mais aussi parce que les personnes ayant un pénis ne s’en servent pas nécessairement à chaque fois qu’iels ont un rapport.
Les pratiques communément considérées comme des « préliminaires », telles que la fellation ou le cunilingus, sont des pratiques sexuelles au même titre que la sacro-sainte pénétration ! Elles ne lui sont ni annexes, ni accessoires, elles n’ont pas pour seul but de préparer la pénétration et peuvent très bien se suffire à elles-mêmes. Et ce, même dans les relations cishétérosexuelles.
Un rapport sexuel n’est pas quelque chose de linéaire, avec des étapes à passer dans un ordre précis : « préliminaires » pour préparer la pénétration, pénétration, orgasme de cellui qui est pourvu·e d’un pénis, fin. Rien n’est obligatoire ; il n’y a pas d’ordre à respecter, de critère à remplir pour avoir un rapport « complet ».
Il n’y a qu’une seule règle en matière de sexe : faites ce qui vous fait plaisir, dans la limite du consentement de votre ou vos partenaire(s).
La « virginité », un contrôle des femmes déguisé
Si on s’y attarde quelques minutes, les définitions habituelles de la virginité ne sont donc pas très convaincantes. Alors pourquoi continuons-nous de les utiliser pour nous définir (peu de personnes cishétéros oseront dire qu’elles ne sont plus « vierges » si elles ont uniquement pratiqué le sexe oral) ? Et surtout pourquoi est-on tant attaché·e à ce concept de virginité, à ce statut de « vierge » ? D’où vient ce besoin d’absolument savoir si le vagin a déjà été visité par un pénis ?
La réponse se trouve certainement quelque part dans notre histoire occidentale et l’influence des grandes religions monothéistes sur notre rapport au corps et au sexe. Avec l’essor de ces idéologies, le sexe a très longtemps été envisagé uniquement comme un moyen de procréer (ce qui n’était pas le cas avant leur apparition !) ; seul l’homme pouvait continuer de l’envisager comme quelque chose de récréatif sans trop de répercussions.
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S’assurer qu’une femme soit « vierge » au moment du mariage, c’est être sûr qu’elle n’est pas déjà enceinte et donc être certain de ne pas transmettre son nom à un bâtard (l’emploi du masculin est ici volontaire, seuls les fils étant réellement considérés comme les héritiers). Si l’on peut comprendre l’importance de cet enjeu à des époques où il était impossible de vérifier la paternité, ces méthodes de contrôle du corps des femmes et de la « pureté » des lignées sont pour le moins dépassées.
La virginité associée à la notion de « pureté » est un puissant outil d’humiliation. Les fausses idées sont monnaie courante :
- Le sexe est censé « abîmer » les femmes, les souiller. Basée sur le principe (complètement faux) qu’un vagin s’élargit à force de rapports, cette idée reçue prétend qu’une femme trop « usée » aura un vagin plus « lâche » et moins à même de satisfaire son partenaire.
- Le vagin est en réalité très élastique. Il se remet généralement très bien du passage d’un·e ou plusieurs enfants, ce n’est donc pas un pénis qui risque de le « déformer ».
- Il ne viendrait jamais à l’esprit qu’un pénis pourrait s’éroder à force de frottements et devenir très fin chez les hommes ayant de nombreux rapports sexuels ; comment se fait-il alors qu’on accepte de croire l’inverse ?
- Pour finir sur cette croyance, comment expliquer que de nombreux partenaires soient censés élargir un vagin, mais pas des rapports répétés avec un seul pénis ?
- Une femme « vierge » est considérée comme ayant plus de valeur. Le fameux
« Je ne veux pas passer derrière 50 mecs. »
Est-ce une peur de ne pas tenir la comparaison ? Un orgueil mal placé ? La question de la lignée évoquée plus haut ? Toujours est-il que le syndrome du « Don Juan » en opposition à la « salope » est profondément sexiste : la valeur d’une femme serait inversement proportionnelle à son nombre d’amants là où un homme prendrait de la valeur à chaque amante supplémentaire…
Tout cela est lié au fait que la sexualité des femmes dans les relations hétérosexuelles est vue comme une chose subie (car pénétrée et non pas pénétrant·e). Les femmes ne sont pas vues comme des actrices de leur sexualité, mais seulement comme des agentes passives qui font ça pour faire plaisir aux hommes, étant donné que les femmes sont censées ne pas vraiment aimer le sexe, ou du moins pas autant que les hommes. Cela se ressent d’ailleurs dans le vocabulaire et les expressions employées : « Elles se donnent », « Elles concèdent un rapport », « L’homme propose, la femme dispose », « C’est une faveur », « Le sexe est une monnaie d’échange contre la sécurité qu’apporte un homme au sein du couple »... Oui, nous avons déjà entendu toutes ces phrases. Et on ne parle même pas des « Il l’a baisée » que l’on entend bien plus régulièrement que l’inverse, « Elle l’a baisé. »
Que pouvons-nous faire ?
Nous pouvons arrêter d’employer l’expression « perdre sa virginité » et lui préférer « faire ses débuts sexuels » ou « devenir actif·ve sexuellement » qui sont plus représentatives de la réalité et prennent vraiment en compte toutes les sexualités (de façon non hétéro-centrée, non cis-centrée).