À quoi sert la non-mixité militante ?

Du succès historique du Mouvement de libération des femmes – notamment pour le droit à l’avortement et à la contraception – à l’expérience presque unanimement saluée (chez les concerné·es) du récent Camp d’été décolonial, la non-mixité a prouvé sa force et ses vertus. Cependant, elle soulève encore de nombreuses questions et critiques chez le grand public, notamment chez les non-concerné·es.

Notre société étant patriarcale et oppressive, il n'est pas étonnant qu'elle influence notre éducation. Il n’est alors pas toujours facile d’avoir les clefs pour saisir toute l’importance et la légitimité de la non-mixité. C’est dans le but de vous en expliquer les tenants et aboutissants que j'écris cet article.

Que cela soit bien clair, nous évoquerons ici la non-mixité excluant les hommes cisgenres car c’est celle que nous pratiquons quotidiennement chez Simonæ et qu’un article exhaustif sur toutes ses formes serait très lourd. N’oublions pas néanmoins que d’autres non-mixités sont pertinentes et nécessaires dans d’autres contextes. Il s’agit d’un outil politique de lutte, ainsi il est possible d’ajouter ou d’enlever des catégories de personnes exclues selon les besoins du type de militantisme : trans, antiraciste…

La non-mixité des dominants est la norme dans notre société

Nous partons donc d’un constat féministe de base : la société est patriarcale. Cela signifie que les hommes cis y ont le plus de privilèges et de pouvoir, ce qui crée une oppression envers toutes les personnes ne rentrant pas dans cette définition. Est induit un profond déséquilibre dans le dialogue social et une non-mixité de fait, volontaire ou non, que nous pouvons observer dans la plupart des instances de pouvoir. Bon courage pour trouver un homme trans au gouvernement ou une femme rédactrice en chef d’un grand journal. Quand il ne s’agit pas d’une non-mixité totale, on retrouve une écrasante majorité cismasculine. Tout un ensemble de mécanismes sociaux empêchent les femmes et les personnes transgenres d’accéder à certaines positions, qui vont de l’éducation genrée à la pure et simple discrimination sexiste aux entrées des postes importants.

Créer un espace pour les personnes silenciées

Il faut cependant bien que ces personnes, exclu·es des milieux décisionnels et souhaitant faire progresser la société vers plus d’égalité, puissent s’exprimer sans être victimes de la tendance inéluctable qu’a le monde à tout rapporter aux hommes cis et qu’ont les hommes cis à tout rapporter à eux, consciemment ou non. La parole étant refusée à ces personnes silenciées, la non-mixité permet de libérer et d’articuler une pensée sur les mécanismes oppressifs loin de ces mêmes mécanismes.

La non-mixité assure qu’aucun homme cis ne coupera la parole par habitude, n’imposera ses idées, ne remettra en cause la parole des concerné·es ni n’exprimera tout l’ensemble du conditionnement problématique qu’il a subi face à des concerné·es étant déjà conscient·es des enjeux et souhaitant faire avancer le combat. Cette sécurité aide grandement les oppressé·es à prendre la parole et à ainsi faire profiter tout le monde de leur avis, souvent d’une grande valeur. Même de bonne volonté, les hommes cis auront une plus faible compréhension de tout un ensemble de thèmes que les militant·es devront donc définir longuement avant d’entrer dans le cœur du sujet : au lieu de trouver des solutions, on se retrouve donc à réexpliquer le problème indéfiniment.

Les personnes concerné·es par ces oppressions patriarcales sont malheureusement les plus aptes à saisir et à comprendre la réalité humaine du problème. Elles ont donc une parole extrêmement intéressante, de par l’entrecoupement de leurs témoignages de première main ainsi que leur incapacité à s’éloigner du problème bien longtemps (si on pouvait arrêter d’être oppressé·es le temps d’une année sabbatique, on le ferait, ne vous inquiétez pas). Il est alors important d’entendre ces voix documentées, conscientes, militantes, et c’est pour cela que l’espace non mixte est nécessaire, contribuant à créer un discours autrement caché par le débat public et mixte.

Au-delà même de son intérêt purement militant, l’espace non mixte permet à la personne féministe de souffler un peu, de se retrouver dans un environnement safe, où iel trouvera un soutien et une compréhension de ses problématiques. Il est bénéfique d’avoir l’occasion de se reconnaître dans saon voisin·e plutôt que de faire face au doute épuisant d’avoir affaire à un potentiel oppresseur. Cette compréhension accrue des un·es envers les autres permet aussi de trouver des solutions beaucoup plus précises à des problèmes liés au genre ou au sexisme en général. Parfois des problèmes plus quotidiens ou personnels, moins universels, mais qui ne méritent pas moins d’être résolus. Dans un monde de violence et de silenciation, il est nécessaire de se protéger, à la fois pour soi mais aussi pour être un·e militant·e plus efficace car plus reposé·e si on le souhaite.

La non-mixité militante existe en réaction au patriarcat. Elle permet de réguler la prise de parole. De nombreux hommes cis aiment crier au sexisme inversé (un mythe que nous prendrons sûrement le temps de déconstruire à l’occasion), imputant à la non-mixité une dimension misandre présentant les femmes comme seules détentrices supérieures de la vérité.

Or, il ne s’agit pas de refuser toute parole aux hommes cis, ou toute légitimité dans leurs questionnements féministes. Il s’agit simplement de dire qu’ils ont littéralement le reste du monde pour parler et être plus écoutés que les concerné·es et que donc pour une fois on aimerait être tranquilles, merci. Il y a des espaces et des initiatives dédié·es à la mixité militante, notamment dans des buts d’éducation pour aider à déconstruire la culture patriarcale. Si vous êtes un homme cis respectueux de la parole des concerné·es et ouvert à la remise en cause, la majorité des associations ou syndicats sont mixtes. D’ailleurs, Simonæ est un magazine ouvert aux lecteurs cisgenres, si vous souhaitez vous éduquer sur des sujets féministes. Simplement, pour une fois dans votre vie, votre avis ne comptera pas plus que le nôtre, ce qui fera du bien aux concerné·es, à nous et probablement à votre réflexion féministe.


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