De rouille et d'os
Ce film a été ma plus grosse claque de 2012. Et pourtant, j'avais très peur d'être déçue, à cause du sujet propice au pathos larmoyant, parce que tout le monde parle d'Audiard comme du messie et promettait la Palme d'Or à De rouille et d'os avant même sa sortie, et surtout parce que De battre mon cœur s'est arrêté m'avait laissée totalement de marbre.
Les premières images de De rouille et d'os sont superbes, pour le reste je n'en ai aucune idée, j'ai été complètement happée par l'histoire, par les personnages, par tout. Matthias Schoenaerts est phénoménal, il est parfait tout au long du film, j'étais incapable de détacher mes yeux de lui une seule seconde. Il vole complètement la vedette à Marion Cotillard, pourtant très bien.
De rouille et d'os m'a transportée, j'ai vécu le film physiquement, j'ai pris chaque coup qu'Ali prenait, j'avais réellement mal pendant la scène du lac. Ça m'a remué les tripes comme ça ne m'arrive que rarement.
Il y a un rapport au corps très intéressant : avant l'accident, Ali et Stéphanie ne se touchent pas, et après Ali ne touche Stéphanie que dans deux circonstances : pour la porter dans l'eau, de manière très tendre et délicate, et quand ils couchent ensemble, de manière presque bestiale. La puissance physique de Matthias Schoenaerts est un élément primordial, qui permet de mettre en valeur son personnage, sa fragilité mais aussi ses différences avec Stéphanie.
Je n'ai pas pleuré, et c'est à mon avis un des points forts du film. Il n'y a aucune surenchère dans le pathos. Pas de misérabilisme ici, Stéphanie n'est pas une victime et De rouille et d'os n'est pas larmoyant. Au contraire, il y a des scènes très drôles.
Au final, je crois que le vrai « héros », que le personnage principal, c'est Ali. En exagérant un peu, je dirais bien que le personnage de Stéphanie est une excuse pour rencontrer Ali. Bien sûr, Stéphanie a une place importante dans l'histoire, mais tout tourne autour d'Ali, les personnages sont définis par rapport à lui, chaque action, chaque évènement a une résonance sur lui.
De rouille et d'os nous montre des instantanés de leurs vies, la narration est très bien gérée, les ellipses et les non-dits suffisent à faire comprendre le nécessaire. Il n'y a pas une scène de trop, pas une longueur. Les personnages sont bruts, entiers, ils ont des défauts, sont parfois détestables, mais c'est un mal nécessaire pour les rendre humain.
En sortant de la salle, j'ai entendu quelqu'un dire « c'est comme Intouchables, mais réalisé par un dépressif ». Je ne pourrais pas être moins d'accord. Intouchables, c'est une comédie moyenne, avec un type tétraplégique et un (arché)type des cités qui écoutent kool & the gang et font des blagues sur « pas de bras, pas de chocolat ». Le film n'est pas mauvais, il est juste insipide. Tout ceux qui ont vu dans Intouchables une belle leçon de vie sur les rapports avec les personnes handicapées, sur la manière de les traiter sans compassion et de ne pas les considérer comme des malades avant de les voir comme des humains devraient regarder De rouille et d'os.
La relation entre Ali et Stéphanie est magnifique, empreinte de douceur et de délicatesse et totalement dépourvue de complaisance et de misérabilisme. Je ne considère pas De rouille et d'os comme un film sur le handicap, mais comme un film sur la rencontre entre deux êtres brisés.
Le seul reproche que je ferai au film, c'est la partie sur la surveillance, les magouilles avec le personnage de Bouli Lanners (au demeurant excellent dans son rôle). J'ai trouvé ce pan de l'histoire nettement moins intéressant, et il détonait du reste.
Je n'ai aucune idée de si De rouille et d'os mérite la palme d'or, je n'ai vu aucun des autres films en compétition. Tout ce que je sais, c'est qu'il mérite d'être vu. Si vous vous laissez entraîner comme moi, vous serez malmené pendant 2h et vous ressortirez lessivés mais heureux de la projection.