Comme neige au soleil

Vous en avez sûrement entendu parler hier, le président de la 42e Cérémonie des César a été annoncé, et il s’agit de Roman Polanski.

Roman Polanksi, c’est un réalisateur connu (Rosemary's baby, Chinatown, Répulsion, Le Pianiste...), prolifique (14 courts métrages, 21 longs métrages et un autre prévu pour cette année), souvent récompensé (1 Oscar pour 6 nominations, 3 Golden Globes, 8 (!) Césars, 1 Palme d’Or, 3 Prix au Festival de Berlin et encore une bonne vingtaine d’autres récompenses), également acteur, scénariste, producteur et metteur en scène de théâtre. C'est un habitué des festivals, il a notamment été président du jury à Cannes en 1991 et à la Mostra de Venise en 1996.

Mais ce qui me pousse à parler de lui aujourd’hui, ça n’est pas sa carrière. Non. C’est le fait qu’en 1977, il a drogué et violé une adolescente de 13 ans alors qu’il en avait 44. Incarcéré, il plaide coupable de « rapports sexuels illégaux avec un mineur », en échange de l’abandon des charges plus graves. Libéré en attendant le procès, il s’enfuit en France. Depuis, il n’a pas remis les pieds aux USA et évite soigneusement l'extradition.

Vous comprendrez aisément que le choix d'un violeur en cavale pour présider un évènement de cette envergure puisse choquer. Surtout quand on voit le traitement médiatique qui lui est régulièrement réservé : lire « retour sur l'affaire de viol qui le poursuit depuis 40 ans » (FranceTVInfo), « en proie aux poursuites assidues de la justice américaine pour une affaire de mœurs » (Le Monde, édité depuis) ou « Roman Polanski, qui n’a plus le droit de travailler aux Etats-Unis depuis son arrestation pour viol en 1977 » (Closer, qui ment donc carrément) est rageant (et assez désespérant, pour être honnête).

Mais alors, qu’est-on censé·es faire quand un réalisateur, un acteur, un chanteur est accusé de viol ? De violences conjugales ? Tient des propos racistes ou homophobes ? Ne pas le récompenser symboliquement en le nommant président du jury d’un festival de grande envergure paraît être un bon départ, mais après ?

Que peux-on faire individuellement ? On arrête de lui donner de l’argent ? De consommer ses œuvres ? De le recommander ? À quel niveau de raclure fixe-t-on la limite ?

En grande consommatrice de cinéma, de série et de musique, j’ai pas mal réfléchi à la question. Je vais vous parler de ce que je fais personnellement, je ne prétend pas avoir la bonne solution, mais elle me permet de ne pas trop tordre mes principes.

Quand une personnalité dont j’apprécie le travail est problématique, j’essaye de prendre le temps de réfléchir (quand c’est quelqu’un qui ne m’intéressait initialement pas, c’est d’autant plus simple : je n’ai jamais aimé les films de Woody Allen, ça ne me coûte rien de le boycotter purement et simplement).

Dans tous les cas, il me parait évident de ne plus recommander son travail à mes connaissances, et de ne plus le financer. Par exemple, si un jour Mel Gibson réalise un nouveau film que je suis curieuse de voir, j’attendrais d'avoir la possibilité de le voir sans lui verser le moindre euro.

Mais que faire de l’Arme Fatale et de ses suites, qui font partie de mes films préférés ? Je continue à les regarder, surtout que ce sont principalement les opinions de Mel Gibson qui me dérangent et, contrairement aux films qu’il a écrit et/ou réalisé, elles ne transparaissent pas dans ses rôles d’acteur.

Souvent, donc, je continue à voir ou écouter les anciennes œuvres des gens que j’ai découvert problématiques tout en évitant les nouvelles, et surtout je ne fais pas leur promotion et j’apprends à mon entourage ce qu’ils font/ont fait.

Mais parfois, je ne suis plus capable de regarder ou écouter ces gens.

Depuis que j’ai appris que Martin Freeman et Benedict Cumberbatch sont respectivement raciste et psychophobe, j’ai été incapable de regarder un épisode de Sherlock. Et pourtant, passées les quelques minutes de « Oh nooooon pas eux !!! Sérieusement, y’a-t-il une personnalité décente dans ce monde pourri jusqu’à la moelle ? », j’avais réfléchi et pris la décision de continuer à regarder Sherlock (étant donné qu’il s’agit d’une de mes séries préférées), de boycotter leurs nouveaux projets et de ne plus recommander d’œuvres dans lesquelles ils jouent.

Oui, mais. En lançant l’épisode 1 de la saison 4, saison que j’attendais depuis 3 ans donc, j’ai été incapable de penser à autre chose qu’aux propos psychophobes de Benedict Cumberbatch sur les personnes autistes, surtout qu’ils concernaient en partie son personnage dans la série. Je vais donc arrêter mon visionnage là. C'est dommage, mais il me reste plein d’autres séries à regarder.

Pour le reste, tout est une question de dosage et d’évaluation. À partir de quand dois-je considérer qu’une personne est trop problématique ? Il nous arrive à tous d'avoir des propos maladroits, ou d’être oppressifs sans le vouloir, j’aurai donc tendance à laisser le bénéfice du doute à quelqu’un qui a « dérapé » (je n’aime pas ce mot, je le met faute d’avoir trouvé mieux) une fois. Errare humanum est, comme on dit en latin. J'applique également la fin de la locution, perseverare diabolicum : ma mansuétude a des limites.

Aujourd’hui, j'ai appris l'existence d’une pétition demandant l’abandon des charges contre Roman Polanski signée, sauf erreur de ma part, par 849 professionnels du cinéma et 19 organisations professionnelles. Autant dire que ça en fait, du monde à éviter. Je connais une centaine de personnes dans la liste, au moins ; voici celles et ceux que je vais m'efforcer de retenir :

Woody Allen, Pedro Almodovar, Wes Anderson, Jean-Jacques Annaud, Alexandre Arcady, Fanny Ardant, Asia Argento, Darren Aronofsky, Olivier Assayas, Monica Belluci, Gael Garcia Bernal, Bernardo Bertolucci, Adrien Brody, Alfonso Cuaron, les frères Dardenne, Guillermo Del Toro, Jonathan Demme, Xavier Dolan, Stephen Frears, Tony Gatlif, Costa Gavras, Terry Gilliam, Rober Hossein, Alejandro Gonzalez Iñarritu, Wong Kar Waï, Jan Kounen, Emir Kusturica, John Landis, Claude Lelouch, David Lynch, Michael Mann, Michel Ocelot, Yasmina Reza, Sonia Rykiel, Ludivine Sagnier, Martin Scosese, Tilda Swinton, Bertrand Tavernier, André Techiné, Vangelis, Wim Wenders et Terry Zwigoff

Je pense que Wes Anderson, Xavier Dolan, Michel Ocelot, Martin Scorsese et Whoopi Goldberg (elle n’a pas signé, mais a soutenu publiquement Polanski) sont ceux qui m’ont le plus surprise et surtout déçue.

Je peux difficilement boycotter l’ensemble de cette liste et continuer à regarder des films français ou américains de moins de 50 ans, je vais donc devoir faire des choix et négocier avec ma conscience. Et faire attention, quand je choisis de regarder un film, aux gens qui y ont participé.

Pendant ce temps, la liste des gens décents fond comme neige au soleil.


Je vous recommande chaudement la lecture de la BD de Mirion Malle « L’impunité des hommes (célèbres) ».